Faire rien, un chemin sur la Voie du Toucher Juste

Faire rien, un chemin sur la Voie du Toucher Juste

25 - Bâton vertical coude collé

 

 

J’ai toujours été fasciné par la main et le pouvoir du Toucher, d’abord sur moi, mais aussi sur tous les êtres vivants que j’ai touchés, comme je l’ai raconté dans mon livre « 30 000 kilomètres sur les mains » que vous pouvez lire gratuitement ici :

Livre : 30 000 kilomètres sur les mains

 

J’ai donc appris diverses techniques et de nombreux mouvements dans le but d’aider grâce à mes mains, et pas automatiquement de soigner, car si aider par le toucher peut être une voie pour soigner, ce n’est pas le but à tout prix.

 

J’ai déjà parlé maintes fois de mon étonnement, voire ma stupéfaction face au triste constat de cette immense lacune : Quelles que soient les formations que j’ai suivies, ou les présentations de celles que je ne pratique pas, il n’existe aucun programme d’éducation de la main, ni une conception de l’attitude mentale, une vision du toucher, dès lors que l’on s’adresse à un être vivant.

Le texte de Paul Valéry que j’ai souvent cité, est à cet égard, d’une grande justesse.

« Je me suis étonné parfois qu’il n’existât pas un « traité de la main », une étude approfondie des virtualités innombrables de cette machine prodigieuse qui assemble la sensibilité la plus nuancée aux forces les plus déliées. Mais ce serait une étude sans bornes. La main attache à nos instincts, procure à nos besoins, offre à nos idées, une collection d’instruments et de moyens indénombrables. Comment trouver une formule pour cet appareil qui tour à tour frappe et bénit, reçoit et donne, alimente, prête serment, bat la mesure, lit chez l’aveugle, parle pour le muet, se tend vers l’ami, se dresse contre l’adversaire, et qui se fait marteau, tenaille, alphabet.

Que sais-je ? Ce désordre presque lyrique suffit. Successivement instrumentale, symbolique, oratoire, calculatrice, agent universel, ne pourrait-on la qualifier d’organe du possible, comme elle est, d’autre part, l’organe de la certitude positive ? »

 Paul Valéry (discours aux chirurgiens – Ed. Gallimard

 

Je n’entrerai pas dans des polémiques stériles consistant à savoir si c’est de la prétention, de l’orgueil, de l’égoïsme, un manque d’empathie ou la peur…Toutes nos interventions, qu’elles soient tactiles ou verbales, en sont de toutes façons, empreintes, et tout être humain a ses travers, moi y compris, et seules les circonstances de la vie, que personne ne maitrise, apportent des réponses.

Pour clore ce débat, j’ajouterai juste une image, assez édifiante, si on lui enlève toute connotation religieuse ou philosophique : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre », que je traduis d’une manière beaucoup plus directe : « Celui qui énonce qu’il n’a jamais fait d’erreur est juste un menteur ».

 

Hormis ces considérations, j’ai toujours été harcelé, car c’est le terme, par le fait qu’on oublie un paramètre physique, mécanique, dans toutes les interventions d’un être humain sur l’autre, qu’elles soient physiques, mentales, affectives, et surtout tactiles.

 

 

Si on met à part toutes les composantes, physiques ou chimiques, qui permettent de générer, de développer et d’entretenir la vie, ce qui est le rôle de la médecine, officielle ou alternative, il me semble qu’une des composantes de la vie est rarement abordée, et encore moins prise en compte et respectée : c’est ce que j’appelle le confort.

Dans des conditions idéales, l’Homme passe les 9 premiers mois de sa vie dans un état de confort absolu, grâce à deux paramètres différents mais complémentaires. In utéro, pendant 9 mois, l’Homme jouit, et j’y reviendrai, de deux conditions qui seront l’empreinte indélébile qu’il recherchera toute sa vie, ou dont il pourra profiter s’il les retrouve.

 

Le premier est constitué de conditions concrètes, mesurables, physiques, claires et nettes : température constante, bruits amortis, lumière filtrée, nourriture prédigérée à volonté et disponible 24h/24…le confort absolu.

Le deuxième paramètre, là encore dans des conditions idéales, est l’attitude mentale de la mère que je traduirai par ces mots simples mais forts : « Je suis d’accord pour t’amener, te donner, tout le confort nécessaire à ton développement, en adjoignant à ce réceptacle physique, mon désir et mon attention sans faille pour que tu sois « au mieux » jusqu’à ce terme qui sera ta naissance, ou là, tu devras, toi aussi, absorber les informations extérieures. Mais je serai encore là pour t’aider pendant le temps nécessaire à cette « éducation » jusqu’à sa maîtrise, afin qu’un jour tu puisses toi même reproduire ce processus, et qu’entre temps, et à jamais, il reste pour toi une référence dans le domaine de l’aide, de la transformation, voire de la récupération de ce processus de vie indémontable, mais qui pourtant, fatalement, sera perturbé par les affres de la vie, tes défauts ou tes erreurs, ainsi que tous les accidents que tu provoqueras ou subiras, quelle que soit ta manière de vivre. »

 

Dans mon livre, j’ai déjà relaté, sous forme de trois nouvelles, quelques situations parmi les quelques centaines que j’ai vécues, qui permettent de comprendre que redonner le confort peut être, j’ai bien dit « peut » être une solution, voire la solution, pour redonner le mouvement de vie initial à tout être vivant et lui redonner ainsi toutes les chances d’exploiter tout son potentiel, tel qu’il l’a expérimenté au début de sa vie.

 

Si je vous parle de manière aussi simple, et au plus près de la réalité de ma démarche, c’est en espérant qu’elle puisse servir à d’autres. Il est bien évident, et j’insiste lourdement, que si cette démarche me paraît indispensable, elle n’enlève ni ne remplacera jamais toute intervention mécanique d’un kiné ou d’un ostéopathe, le geste d’un chirurgien ou d’un dentiste ou l’action salutaire d’un antibiotique, etc…

Rien ne peut remplacer ce qui est indispensable, et je ne prendrai qu’un exemple qui, en plus, me concerne. La pause d’un Stent, à un endroit précis et à l’instant T, quelles qu’aient été les conditions de confort ou pas, a pour l’instant, assuré mon maintien en vie, et rien n’aurait pu remplacer ce geste précis.

Par contre, je me permets aussi d’affirmer, pour l’avoir vécu et vérifié des centaines de fois, que le confort par le toucher est une technique irremplaçable si c’est elle qui est indispensable à la récupération, voire la transformation de l’être que l’on touche.

Je répète donc que cette démarche n’est en aucun cas supérieure à quoi que ce soit, voire même est inutile lorsqu’elle n’a pas sa place, mais devient indispensable si c’est elle qui doit justement être mise en place, car rien ni personne ne pourra s’y substituer.

 

J’ai pour habitude de comparer la parole et le toucher, deux apanages de l’être humain, dans lesquels je vois beaucoup de similitudes.

Si un conseil, un cri, une explication, une analyse, un jeu de mots même, sont à l’évidence des moyens incommensurables et parfois indispensables pour communiquer, il n’en reste pas moins que le silence vrai et juste, qui est l’écoute, la compréhension, l’acceptation absolue sans intervention, quels que soient les propos de celui qui les prononce, est aussi une « arme » indispensable, et parfois la seule et unique voie qui permettra sans aucune considération personnelle, mise à part une éventuelle suggestion, de trouver la solution.

Là encore, elle ne remplacera pas le conseil avisé, mais elle pourra être non seulement un complément, mais peut être la seule démarche adaptée à cet instant, pour que toutes les autres puissent être acceptées, assimilées, et produire leurs effets eux aussi irremplaçables.

 

Revenons donc à ce que j’appelle « la mécanique » du toucher, et pour ne pas compliquer, voire amoindrir le propos, je n’emploierai que des mots ou des images très simples.

Un corps qui a subi un traumatisme, physique ou mental, est avant tout, un corps en état de tension extrême qui lui empêche momentanément, voire durablement, de pouvoir retrouver son potentiel et de régler lui même les facteurs qui l’ont mis dans cet état. S’il a toujours ce potentiel de vie, puisqu’il est toujours vivant, il n’a pas, ou plus, les moyens de les exploiter.

In utéro, dès le premier jour et pendant 9 mois, l’embryon a tout le potentiel pour se développer, mais il ne peut pas le faire seul, et c’est uniquement le confort et l’engagement indéfectible de la mère, qui lui permettent d’exploiter ce potentiel jusqu’au point ultime de son développement afin qu’il puisse lui même se servir seul de ses outils et de ses possibilités.

 

Je suis actuellement, et pour la première fois, confronté à cette nécessité irremplaçable que peut être le confort, face à une personne plongée dans un coma neuro-végétatif depuis plus de 6 mois, à la suite d’un grave accident de la route.

Plusieurs interventions chirurgicales ont été réalisées et il est inutile de préciser que sans ces gestes et les soins qui lui sont prodigués, elle ne serait plus en vie.

A la demande d’une personne de sa famille qui connaît mon approche pour l’avoir expérimentée, et avec le plein accord de sa maman, j’ai décidé de lui amener ce que je sais le mieux faire : le confort.

Aujourd’hui, elle est vivante, mais pour moi qui la touche depuis une semaine, tous les jours, pendant une à deux heures, elle est dans un état de tension extrême, comme je n’ai jamais rencontré malgré mes « 30 000 kilomètres sur les mains »…

Je vous avoue sincèrement, et humblement, que si je n’ai pas été effrayé, j’ai été franchement démuni de prime abord par l’état de rétraction de ses mains, ses jambes, sa nuque, car j’ai été instantanément conscient et persuadé que rien ni aucune technique ou connaissance que j’avais, ne pourrait l’aider, si elles étaient employées comme de simples techniques.

 

J’ai donc décidé de FAIRE RIEN.

Rien faire, dans le sens d ‘être juste présent sans rien faire, ou même m’en aller, n’était pas envisageable pour moi. Mais faire à tout prix, quel que soit le geste, me paraissait absolument déplacé tant il aurait été en conflit total avec ce qui semblait être son besoin, sa demande, son attente.

FAIRE RIEN, mais faire.

Juste soutenir, pour qu’elle puisse en faire un peu moins.

Su-porter, placer mes mains pour soulager le poids d’une tension.

Faire rien mais être totalement engagé, au millimètre, sans lâcher, sans artifice, et sans à priori, quelle que soit la partie du corps.

Me taire, pour ne pas prononcer de mots inutiles.

Ne rien faire, pour ne pas augmenter son inconfort.

Je lui ai juste proposé d’accepter de me faire confiance, en le vérifiant, et en lui affirmant que jamais je n’irai dans un sens qui n’était pas le sien à priori, c’est à dire contre elle.

Un mot de réconfort, un geste de soutien, une simple proposition…en ayant 101% de chance qu’elle ne l’entende pas, ne le comprenne pas, voire ne l’accepte pas, mais c’est pas grave, j’insisterai jusqu’à ce que le pourcentage s’inverse.

FAIRE RIEN, c’est faire tout mais sans rien de soi, se mettre juste au service de l’autre sans jamais rien imposer, quelles que soient nos connaissances ou certitudes, voire mauvaises habitudes… Ce qui est beaucoup plus difficile que de faire quoi que ce soit.

C’est vrai qu’après 40 ans de pratique c’est pas toujours facile à accepter… mais ça me semble la bonne Voie et j’aurai tout le temps, si ça marche, de mettre ensuite mes connaissances ou possibilités aussi à son service.

Je me lave les mains avant de la toucher, pas après. J’enlève mes merdes, pas les siennes. Si je n’étais pas capable d’enlever les miennes et d’accepter les siennes, je crois qu’il vaudrait mieux ne pas la toucher. Enfin, c’est mon avis…

 

Ceci a été ma démarche et le restera, quelles que soient les contraintes et mes propres tensions, dans l’inconfort de ces conditions qui ne sont rien face aux siennes.

Je dis quand même « merci DigiQiDo » et à tous ces exercices que j’ai pratiqués des centaines, voire des milliers de fois. Je savais que le « bâton vertical, coude collé » était l’exercice ultime, mais là, il faut faire encore mieux, et Digid’Or , ce n’est que le début…le b, a, Ba du b, a, Ba…si je puis dire.

Chaque millimètre de mes mains doit être parfaitement contrôlé en permanence, doigts totalement indépendants, quelle que soit la position que j’adopte, sans jamais lâcher, car le moindre mouvement inutile, la moindre tension superflue et le confort disparait instantanément. Le 20/20 est la seule note envisageable.

 

Au bout de six jours, j’ai juste réussi à lui faire ouvrir les deux mains et à soutenir sa tête dans les miennes pour qu’elle s’y repose et se détende lorsqu’un assaut de tensions la submerge malgré elle.

J’ai ajouté à cette démarche, celle, essentielle aussi, d’apprendre cette « mécanique » à sa Maman, présente depuis bien plus longtemps que moi, tous les jours depuis plus de six mois, ce qui a déjà considérablement modifié leurs rapports, et j’en suis très heureux.

Pour ma part, j’ai adjoint à cette technique du « faire rien », que j’appelle le Toucher Juste, et qui pourrait s’appeler « juste toucher », un autre paramètre que j’ai développé le long de mon parcours de mains, qui est le plaisir de toucher, sans lequel je n’aurais pas fait la moitié de ce chemin.

 

Dans la technique du Massage Artistique, que j’ai créée, que je pratique et enseigne, il m’a souvent été reproché une trop grande sensualité, surtout lorsqu’il est filmé, tout simplement parce que je le propose éventuellement sur le corps nu, avec passage sur les fesses et les seins comme toute autre partie du corps et avec la même qualité de toucher que sur un dos, un pied ou un visage : rien de plus, mais rien de moins.

J’ai rencontré ces mêmes problèmes un peu partout, quels que soient le pays, les lieux, hommes ou femmes, tant le plaisir par le toucher est galvaudé, déformé, hormis peut-être chez les personnes très âgées, les petits enfants, ou les grands malades. Et pourtant…

Et pourtant, je vous assure qu’avec sa mère, nous sommes en train de développer cette force qu’est le plaisir vrai de la caresse, tant par son pouvoir de stimulation tactile, que celui du ressenti pouvant mobiliser délibérément et notoirement le moteur du plaisir. Je n’ai accès qu’à une toute petite surface de peau, mais je vous assure que j’essaie de lui prodiguer mes caresses les plus douces, les plus tendres, et je peux l’énoncer, au risque d’être incompris, comme je n’ai jamais touché aucun autre être humain, alors qu’il est évident que pour des touchers bien moindre, il m’est arrivé, comme tout praticien, d’avoir telle ou telle réaction suite à une mauvaise interprétation.

Ici, point de salut, hormis la vérité et c’est elle qui est nue…

Fini les trucs, les points ou produits miracles, fini les polémiques, fini les faux semblants et les déformations, juste la vie au service de la vie, juste le Toucher pour essayer de Toucher Juste…

 

Sous-tenir, su-porter, donner du plaisir pour ré-informer le mouvement de vie dans ce corps qui, hormis les agressions indispensables qui lui sont infligées et cet accident terrible, peut encore recevoir, profiter, en toute limpidité et en toute impunité, car ici les lois ou avis de la société et des hommes n’ont plus cours. Seuls ceux de la vie sont applicables dans leur signification et leur acceptation.

 

Je ne sais quelle sera l’issue…Si j’ai réussi à lui faire déplier les doigts, ceci ne représente qu’une fraction de tout ce que j’ai espéré, tenté, le reste étant non pas un échec au vrai sens du terme, mais inadapté ou inutile à cet instant.

 

Avoir l’humilité de comprendre, de constater que ce que l’on essaie de faire ou propose ne marche pas, n’est pas compris, voire même est déplacé, est pour moi une nouvelle leçon de Toucher qui, quelle que soit l’issue, restera indélébile et sera aussi un nouveau moteur dans cette voie de l’aide par le Toucher.

Je sors épuisé à chaque visite mais heureux d’avoir pu juste “embellir” la vie de cette jeune fille ne serait ce qu’un instant et cela me suffit.

Il est évident, enfin pour moi, mais je crois bon de le préciser que j’offre mes services à cette personne malgré les 150 kilomètres que je dois effectuer pour ça tous les jours et les 4 heures que cela me prend.

 

La vie ne se vend et ne s’achète pas.

Je me donne encore un mois en y allant tous les jours, j’ai bousculé mon agenda pour ça avec plaisir, et après je verrai.

 

 

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