L’être de Noël : lettre ou ne pas être…

C’est la fin de l’année civile dans quelques jours et chacun d’entre nous jouera son rôle : Cadeaux, voeux, huîtres, et foie gras essaieront de se marier avec costumes, toilettes et parfums en tous genres pendant que les réussites ou les échecs de l’année écoulée poursuivront leur match effréné sur le terrain de nos coeurs.

J’ai horreur des fêtes en général. Peut être parce que celles de mon enfance ne furent jamais au rendez-vous de mon coeur ou de mes espérances.

Je me souviens de ce Noël où je suis resté seul devant un plat de pâtes amer au milieu d’une montagne de vaisselle sale. De cette soirée sans chauffage qui fait froid au corps et avec le froid au coeur. De cette lumière blafarde sur mon assiette blanche remplie d’un mets blanc qui m’obligeait à occulter ma vision. De cette eau froide qui ne me permettrait même pas de laver cette assiette ou tout au moins m’en enlèverait l’envie, même si elle me frôlait. Du son de la musique du restaurant d’en dessous, déformé par le long couloir comme le râle de mon corps meurtri et mal lavé.

Certes, je n’étais pas réellement en mauvaise posture, comparé à tant d’autres gens certainement plus malheureux que moi. Mais c’est connu, ce n’est pas le malheur des uns qui génère le bonheur des autres.

Je sentais plutôt une imposture de mon être profond. J’étais simplement en mauvaise position.

Je ressentais l’immobilité de cette étincelle qui, malgré tous les outrages de l’instant continuait à briller au fond de moi. Je la sentais qui essayait de me réchauffer mais qui, aussi, s’essoufflait par le reflux de mon souffle de désespérance.

Je ne pus pas finir la dernière bouchée de ce plat fade qui devait pourtant être annonciatrice d’un flux nouveau aux regards de la bouteille de champagne que j’avais achetée avec les derniers francs qui me restaient.

A quoi serviraient ces bulles et ces vapeurs d’alcool si mon coeur ne parvenait pas à les enflammer, si cette lueur devenait trop faible et était noyée plutôt qu’attisée.

Le courant ne passait plus car il n’y avait aucune issue. Le générateur de mes pensées était court-circuité et la flamme de la bougie que j’avais allumée n’arrivait pas à se développer. Comme mes yeux qui restaient secs, elle ne coulait pas non plus, mais sans réellement s’étouffer, elle demeurait là, petite  et blafarde. Je pointais mon indexe dans sa direction comme pour l’accuser d’être le reflet de moi-même.

C’est juste au moment de la toucher que la légère brûlure de la cire chaude me re-volta.

Qu’attendais-je de recevoir, qu’espérais-je de l’instant en restant au dehors, en ne l’assumant pas?

En pointant ce doigt en direction de cette flamme, je laissais se prolonger mon regard dans la même direction.  Il s’arrêta sur la fenêtre d’en face, celle de ma voisine.

La lumière était éteinte mais je savais qu’elle était là, seule, comme moi, et que personne n’était venu la chercher, elle non plus.

Noël est une fête de famille, elle n’est pas de ma famille. 

Elle n’avait pas de famille et la mienne ne fourmillait plus depuis longtemps.

Alors, il me vint cette réflexion : C’est quoi la famille ?

Est ce que seul le liquide sang a le droit de régir mes choix et mes mouvements alors que le flot de mes larmes internes n’attendait qu’un lit de tendresse pour sourdre et se transformer en précieux liquide.

Entre cette fenêtre et mon doigt se dressait l’ombre de ma bouteille et soudain le reflet de son papier doré finit d’éclairer ma réflexion.

Ma main devint bouillante en attrapant son goulot car mon étincelle intérieure ayant trouvé un support jaillit comme un chalumeau.

C’est bizarre, cette sensation. Alors qu’à l’instant d’avant je pensais manquer et n’avoir qu’à peine de quoi subvenir à mes besoins, il me suffisait d’avoir décidé de partager le peu restant, pour le décupler.

J’attrapai la bouteille et sortis de chez moi. Je grimpai les escaliers en pierre mal taillée et j’arrivai devant sa petite porte.

L’odeur du tabac brun qu’elle fumait, mêlée à celle de l’humidité et de la moisissure de l’allée vétuste se transforma en un parfum suave dont je me nourris en guise d’apéritif. Je pensais au festin qui m’attendait.

Je frappai.

– Mamie, c’est Guy !

– Oui, entres.

Le flot de fumée m’enveloppa dès que je pénétrai dans la minuscule pièce où elle habitait. La lumière était éteinte. Seule la lueur de la lampe de ma cuisine que j’avais laissé allumée filtrait à travers ses vieux rideaux jaunis. C’est à travers ce rai de lumière que je distinguai son corps allongé sur le petit lit au fond de la pièce.

– Qu’est ce que tu fais là?

– Eh bien, c’est Noël!

– Et alors?

– Alors, j’avais envie de boire avec toi.

– Hum

– Il faut bien fêter ça

– Hum

– Si tu éclairais, on se verrait mieux.

La petite ampoule de sa vieille lampe dessinait l’ombre de sa silhouette sur le mur de plâtre noirci par la fumée.

– Tu as déjà mangé ?

– oui, comme d’habitude

J’avais posé la question histoire de parler. En fait, j’avais la réponse sous les yeux. Sur la petite table en formica, gisaient le bol et le restant de sa tartine. Quelques gouttes de café au lait étaient tombées et commençaient à sécher. Tous les soirs c’était le même repas. Le même rituel. Un bol de café au lait et une tartine de pain beurrée. Il n’était pas question d’en changer, comme du reste d’ailleurs, car plus rien ne changeait pour elle depuis longtemps.

Les 88 années de sa vie s’étaient entassées comme les quelques bibelots qui ornaient cette pièce.

– Tu as des verres ?

– Pourquoi faire ?

– Eh bien, pour boire le champagne.

– Mais…

– Allez, c’est pas tous les jours Noël.

Elle ne répondit pas mais dans ses yeux je sentis une drôle de lueur. Je sortis deux verres à moutarde d’une autre génération, blanchis par la poussière et les traces d’eau sur le verre non essuyé.

Je débouchai ma bouteille et c’est au son du bouchon qui sautait que ses yeux changèrent vraiment.

Son front plissé et ses joues ridées se maquillèrent de l’intérieur. Je venais d’actionner un détonateur enfoui depuis bien longtemps. Je lui tendis le verre et nous trinquâmes.

Elle prit un temps avant de commencer à boire comme si elle devait se préparer ou se pré-parer. Elle but lentement la première gorgée, puis but le reste du verre d’un seul coup. Je l’imitai et resservis tout de suite un deuxième verre. Elle rota les bulles dans un espèce de râle venu du plus profond de ses viscères.

– S’cuse moi, j’ai plus l’habitude

– C’est rien, à la tienne !

Le deuxième verre suivit le chemin du premier et le deuxième rot apparu à son tour. C’est bizarre, mais moi qui n’apprécie pas du tout les gens qui font du bruit en buvant, là je n’étais pas du tout gêné. J’avais vraiment l’impression qu’elle mangeait ce liquide, qu’elle se nourrissait d’un mets si longtemps refusé. Et ces rots qui jaillissaient me paraissaient être un espèce de feux d’artifice étincelant et sublimé par les éclairs de ses yeux.

L’alcool et le mélange du champagne au café au lait, dans son estomac à moitié vide, ne tardèrent pas à faire effet. Moi, je sentais aussi mes pâtes s’entortiller de bulles et se désorganiser.

J’étais assis en face d’elle, sur son fauteuil rouge tout en bois. Je me levai et m’assis à côté d’elle sur le lit. Devant moi, s’étalait toute sa vie actuelle :

Une vieille armoire tapissée d’un Vénilia rouge suranné, une petite table, un fauteuil, un petit meuble bas avec des portes à ailettes, une vieille cuisinière et un vieux poêle à mazout à côté de l’évier en pierre où trônait un vieux robinet qui n’amenait que l’eau froide; Derrière la porte presque dégondée, était pendue une vieille chemise de nuit enroulée sur elle même et entortillée dans sa ceinture. Pas vraiment à sa place, et pourtant, un jour, je sus quelle place elle avait pour elle.

C’était la vieille pendule en plastic rouge, au cadran argenté, qui rythmait de son tic-tac cet environnement.

Par terre un vieux linoléum jaune et gris, tout coupé et usé par les sur-place qu’imposaient les dix mètres carrés de cette pièce. Pas de chiottes et seule une petite fenêtre dont tous les bords étaient recouverts par de vieux journaux, gardien du peu de chaleur de l’endroit.

– Il y a longtemps que tu habites là ?

– 28 ans

– Et avant ?

– J’habitais à Cannes sur la croisette. J’avais un petit hôtel particulier. Passe moi une cibiche et prends en une.

Je sortis une gauloise sans filtre de son paquet qu’elle attrapa avec ses doigts tout jaunes de nicotine. J’approchai le briquet allumé et tout son visage me paru métamorphosé.

Je restais sans voix et naturellement, je mis mon bras sur son épaule pour la rapprocher contre moi. C’est tout aussi naturellement qu’elle appuya sa tête sur mon épaule et qu’elle commença à me raconter sa vie.

Elle était danseuse de cabaret et avait parcouru le monde entier. Ca ne m’étonnait pas, car bien qu’accablé par le poids des ans, son corps était toujours frêle et presque droit. J’avais à maintes reprises remarqué sa démarche particulière.

Elle m’énuméra le nombre considérable de villes où elle avait dansé ainsi que les noms fabuleux de toutes les somptueuses voitures qu’elle avait conduites.

Plus tard, elle avait habité Paris dans un appartement qui avait 17 fenêtres sur l’avenue Foch, puis était descendu à Cannes où elle avait des amis.

– Tu n’as jamais été mariée ?

– Ne me parle pas des hommes

L’intonation de sa voix changea quand elle prononça cette phrase. Je n’insistais pas mais c’est d’elle même qu’elle enchaîna. J’appris qu’elle avait rencontré beaucoup d’hommes et que sa collection était à son apogée quand elle rencontra ce gigolo à Cannes.Non seulement, elle tomba amoureuse, mais devint à ce moment aveugle d’amour, elle qui jusque là s’était toujours protégée. Le pire, c’est qu’en plus du jeu dont il était drogué, la drogue elle même se mit de concert pour achever sa dégringolade et entraîner celle de Louise. Elle du partir précipitamment de Cannes, avec juste un sac et l’argent qui lui restait dans son porte-monnaie, pour ne pas le rejoindre en prison.

Et depuis 28 ans, juste avant que je naisse, elle était là.

Son discours s’était ralenti et les mots qui sortaient au travers des quelques dents qui lui restaient semblaient se fondre en un seul son de désespoir.

Elle écrasa une autre cigarette car le temps avait passé et le brouillard environnant s’était grandement épaissi.

J’écrasais la mienne aussi et je ne pus m’empêcher de glisser ma main dans ses longs cheveux gris blancs.

J’étais boule-versé.

Nos odeurs de tabac, de transpiration se mêlèrent. Nous étions en transe-pire d’émotion l’un et l’autre.

C’est bizarre car d’un seul coup, le sentiment lugubre de son passé, transposé par le mien, nourri par mes accidents physiques et mentaux et alimenté de mon divorce récent se trans-forma.

J’étais pourtant bien et elle semblait apaisée et calme.

– Tu sais, je n’ai jamais parlé de ça.

– Oui, je sens.

En fait, mes doigts me racontaient aussi une histoire. Je ne sais pas combien de temps dura ce contact mais il m’en reste le souvenir d’un de mes plus beaux moments d’amour de ma vie. Les mouvements de nos corps se fondirent l’un dans l’autre et elle s’endormit sur mon épaule en ronflant.

Je la touchai, je la câlinai, comme j’aurais aimé l’être moi aussi. De tous petits mouvements, mais une sensation inénarrable de force m’envahit en me sublimant.

C’est en voyant la lumière de l’allée s’éclairer et en attendant un bruit de pas que je fus ramené à la réalité de l’instant. Je connaissais cette voix.

Je la laissais glisser sur le lit en l’allongeant et je m’approchai de la fenêtre. Mon père et mon frère étaient en contre-bas et sonnaient chez moi. Je ne savais pas quoi faire. Impossible de ne pas répondre car la lumière de la cuisine trahissait ma présence.

Louise se réveilla.

– Qu’est-ce qui arrive ?

– Rien, rien, je reviens.

Je devais descendre mais déjà mon père tournait son visage en direction de la fenêtre et quand il m’aperçut dans l’entrebâillement de la porte, il grimpa dans ma direction. Je restais non pas pétrifié, mais sur place tout de même et il me rejoignit.

– Qu’est-ce que tu fais là?

– Et toi?

En fait, j’avais prétexté une éventuelle sortie pour ne pas aller avec eux ce soir car vraiment je n’avais plus envie de jouer à leur jeu stupide et hypocrite. Seulement, mon ton n’avait pas dû être convaincant. Ma mère avait insisté et en prétextant que j’étais un peu patraque, j’avais raccroché rapidement. Mon père s’était douté que j’étais tout seul et venait vérifier.

Dans l’entrebâillement de la porte il aperçut Louise qui s’était rassise mais aussi la bouteille de champagne vide, l’outil de mon état bizarre, qui trônait sur la table.

Un “Bonjour Madame”, ainsi que le retour d’un “Bonjour Monsieur” meublèrent tout de même notre face à face.

– C’est mon père.

– Vous avez un fils très gentil.

La seule phrase de la soirée qu’il ne fallait pas dire venait d’éclater dans une dernière bulle.

– Hum… tu veux venir à la maison ?

– Non, je vais aller me coucher.

Je ne sais plus si j’aurais aimé ou pas, si j’aurais dû ou pas lui faire plaisir, mais vraiment, je ne voulais pas, je ne pouvais pas.

J’avais une nouvelle parente dans ma famille d’amour et c’est elle que je ne pouvais pas laisser.

Mon père n’insista pas et redescendit sans un mot, suivi par mon frère qui n’avait même pas ouvert la bouche.

– Qu’est ce qu’il y a ? me demanda Louise.

– Rien…. enfin si, mais j’ai pas envie d’en parler. Je vais aller dormir et toi aussi.

Je l’embrassai pour lui dire bonne nuit et je fermai la porte derrière moi en lui souhaitant un dernier “Joyeux Noël”!

– A demain !

– A demain, et toi aussi.

– Merci !

Je passai une nuit du même acabit que la soirée, bouleversé calmement.

Je chantais dans ma tête cette chanson de Brassens :

“Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son coeur, et quand il croit ouvrir ses bras, son ombre est celle d’une croix. Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie. Sa vie est un étrange et douloureux divorce…” Je m’arrêtais pour ne pas prononcer la dernière phrase (il n’y a pas d’amour heureux) car en fait, j’étais heureux.

Heureux d’avoir donné, d’avoir reçu, d’avoir partagé.

Heureux d’avoir découvert peut-être la vraie nature du diamant de l’amour dont le couple est une des facettes.

Heureux d’être heureux.

Bien que mes connaissances religieuses et surtout catholiques étaient réduites à néant, je ne pus m’empêcher, du fond de mon lit, d’adresser une prière à l’humanité.

C’est à l’approche des fêtes que je me remémore toujours cet épisode de ma vie. Mais c’est aussi à chaque fois que je m’assoie sur son fauteuil, comme maintenant, chaque fois que je regarde son armoire ou chaque fois que je suis aux chiottes et que je pose mon livre sur son petit meuble. C’était aussi à chaque fois que je regardais l’heure sur sa pendule qui, elle aussi, s’est éteinte, mais que je garde précieusement.

Je ne suis jamais triste en pensant à Louise car le dernier Noël qu’elle passa sur cette terre nous a profondément touché, elle et moi. C’est plutôt un sentiment de Beau, de fort, de juste, qui m’envahit même si mes yeux, en même temps que j’écris ces lignes sont aussi humides que cette allée qui fut l’antre d’un bonheur vrai, même s’il fut éphémère.

Cette marque et cet enseignement indélébile qu’elle m’offrit ont gravé mon coeur et mes mains.

J’aimerais vous adresser du plus profond de mon être cette force d’amour dont j’ai pu bénéficier afin qu’au-delà d’un “normal à gauche” ou “normal à droite”, vos mains soient pour vous et pour vos proches le canal de la beauté en cette fin d’année.

Guy DUMONT

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